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ladytherapy
7 octobre 2004

Lettre à Papa et Maman T

Depuis l'appel de ma mère, j'ai un peu de mal à distinguer ce qu'il serait bon de faire ou non. J'ai ressenti le puissant besoin de me replonger dans des écrits passés afin de savoir ce que j'en pense lorsque je ne suis pas troublée. Voilà celui que j'ai trouvé. Il est adressé aux parents de Lord T (dont j'ai parlé précédemment), et je vous le livre sans trop de coupes (le document original faisait tout de même 8 pages Word...)

Je ne sais pas trop comment commencer cette lettre. Je me suis sentie si furieuse l’autre jour, et puis j’ai réfléchi et j’ai décidé de canaliser ma rage dans un courrier qui vous expliquerait…

Je conçois, mais alors complètement, qu’on ne puisse pas comprendre ce que je ressens, puisqu’il est très difficile, sans l’avoir vécu, de comprendre ce par quoi je suis passée. Ce que je conçois en revanche avec beaucoup de difficultés, c’est qu’on n’essaye pas de l’imaginer…

Pendant plusieurs mois, j’ai essayé de vous mettre à l’abri de toutes ces choses. Je crois que chaque fois que j’entrais chez vous ou que je me trouvais en votre présence, j’avais une telle impression que vous nagiez dans le bonheur, que je ne voyais pas comment aborder le sujet de mes problèmes, des choses qui me font tant souffrir et depuis si longtemps. Je ne me voyais ni expliquer toutes ces choses, ni tenter de vous les infliger. Parce que non seulement à l’oral les mots me semblent difficiles à produire devant vous, mais en plus je ne m’en sentais pas le droit.

Pendant tout ce temps, vous m’avez invitée à m’ouvrir à vous, mais je n’y arrivais pas. La seule idée de faire confiance à des parents me semblait insurmontable. C’était comme d’affronter la mort. Parce que pendant des années, mes parents, je les redoutais plus que la mort elle-même, ils en étaient plus porteurs que toutes les situations désespérées où il m’a semblé m’enfoncer par ailleurs. Les parents sont dans mon esprit capables de trop de pouvoir. J’ai pourtant essayé. A mon rythme ; selon Lord T c’était insignifiant, pour moi les efforts étaient monstrueux. J’étais trop impressionnée par la sérénité et l’insouciance qui émanaient de vous tous.

Là d’où je viens, à table, on parle de problèmes d’argent, de problèmes de travail, de problèmes d’études, de problèmes avec d’autres personnes parfois, on s’engueule, on s’épie, on se fait la tête, on guette les réactions des autres, leurs faiblesses, leurs silences, on se surveille même soi-même pour ne pas mettre le feu aux poudres… Jamais, jamais de la vie, on n’imaginerait parler de choses positives, de culture, de hobbies, de choses normales, en somme. C’est forcément difficile, quand on sait que nous ne nous intéressons à rien qui intéresse les autres, mais ça devient un vrai challenge quand ce que nous apprécions est jugé comme néfaste et forcément inintéressant. Si l’un de nous développe un intérêt pour une chose, quelle qu’elle soit, elle sera dénigrée. Nous évitons donc toujours les sujets dits culturels. Nous n’échangeons rien, à part des reproches. Nous vivons dans la méfiance constante des mouvements des autres, et des nôtres propres. Nous dépassons le stade du self-control et atteignons quasiment la paranoïa collective. Si l’un de nous soupire un peu fort, les autres le prennent immédiatement comme un signe de mécontentement, de colère, et la guerre est déclarée. En somme, nous ne connaissons pas votre Paix, votre calme, votre insouciance.

Ce seul exemple suffit à décrire l’atmosphère oppressante de la maison. Rien à voir avec la vôtre. Je ne me voyais pas essayer de vous expliquer tout cela ! Comment exprimer, précisément, la peur qui plane à chaque repas, chaque minute passée en famille, et le soucis constant d’avoir l’air parfaitement heureux de ne pas être heureux ? Comment expliquer notre réflexe d’afficher un masque de tranquillité quand on est terrifié par la moindre interaction avec les autres ? Et de contrôler chacun de ses gestes, jusqu’au plus bénin (comme de poser un verre, de croiser les bras, ou encore de regarder par la fenêtre songeusement) ? Ça ne s’explique que très difficilement.

Il faudrait pour mieux décrire tout cela remonter aux sources, au début de ce genre de situations de crise, et montrer le lent cheminement de la frustration à la folie pure et simple. Mais je ne le peux pas, parce que je n’ai pas fait attention depuis le début, parce que je n’ai pas tout compris tout de suite, parce que tout simplement je ne connaissais rien d’autre. Non pas que je pensais que ça se passait de la même façon ailleurs, moins que ça encore : il n’y avait pas le choix. Tout juste s’il y avait un ailleurs.

Depuis l’enfance, je partageais mes journées entre l’école et la maison. Je n’allais jamais aux fêtes, je n’en avais pas le droit. Si j’avais des amies (ça n’est pas arrivé avant la fin de l’école primaire, nous déménagions trop souvent), mes parents ne voulaient pas en entendre parler, ça ne les intéressait pas. Si j’en parlais tout de même, ils se mettaient en colère, ou les dénigraient. Sur toute ma scolarité, jamais une seule n’a trouvé grâce à leurs yeux. Il n’était bien sûr par question d’inviter qui que ce soit. Cela a vite fait le vide autour de moi. J’étais donc toujours seule en cours, ou à la maison. Pas de sortie, pas même éducative avec la famille. Pas le droit de lire, sous prétexte que cela abîme les yeux, et qu’il y avait toujours du ménage à faire, ce qui est forcément plus important. Il n’y a pas eu, ou très peu, d’ailleurs ; et ce pendant une bonne quinzaine d’années. Ça n’avait pas lieu d’être : le plus important c’était l’école, et juste derrière, la famille. Jamais l’individu, encore moins ce qui aurait pu l’enrichir. Tout ce que j’ai appris, c’était au travers des livres chapardés dans la bibliothèque de ma mère (autant dire que ce n’étaient pas des lectures pour une enfant, exceptés les rares livres de sa propre enfance…) ou à la télévision, que je regardais en cachette. Toute ma culture vient de là, j’ai du développer seule ma curiosité intellectuelle, et avant même cela, apprendre à imaginer qu’il y avait un dehors, ce qui semblait inconcevable avec la vie que je menais.

En parallèle de tout cela, mon père, qui vivait de lourdes frustrations (je ne l’ai compris que plus tard), notamment de par son métier, mais aussi à cause de sa difficulté à gérer les relations avec d’autres personnes, vivait dans un état de fatigue avancé voire critique. J’avais 7 ans quand nous avons déménagé de notre appartement pour une maison, mais il y avait beaucoup de travaux à y faire, et là encore c’était une source de soucis supplémentaire pour lui. En plus des dettes accumulées pour réaliser leur envie d’avoir un foyer idéal, il fallait compter sur la frustration venant de l’âge de la maison, des travaux que mon père a réalisé quasiment en totalité lui-même lors de son temps libre, du manque de commodités (il nous a fallu environ 6 mois avant d’avoir une salle de bains…), du fait que ma sœur était encore bébé, des horaires de travail alambiquées dues à son travail dans la Police, des changements de postes réguliers (environ tous les 3 ou 4 ans) parce qu’il n’arrivait jamais à s’entendre avec ses collègues… C’était trop pour les nerfs de mon père, pour qui jusque là les choses n’avaient jamais été si compliquées. Mon père est né à la campagne, dans une famille de 4 enfants au sein de laquelle on ne faisait que travailler pour vivre, et cela semblait suffire à tout. Il n’avait jamais eu besoin d’avoir des responsabilités, et je crois qu’il n’a jamais rien fait pour une autre raison que parce qu’il le fallait, parce que c’était dans l’ordre des choses. Faire des choix et devoir en assumer de lourdes conséquences n’entrait pas dans le cadre de sa vie avant d’être marié et de nous avoir.

Autour de la période du déménagement, peut-être un peu avant, peut-être un peu après, les relations avec lui ont commencé à être vraiment difficiles. Dans mon souvenir j’ai 7 ou 8 ans quand les choses se compliquent, mais là encore, je ne pense que je n’ai commencé à m’apercevoir des choses que lorsqu’elles ont été vraiment évidentes. Sans doute que les choses ont empiré doucement, et j’avoue que je n’avais pas les yeux braqués sur mon père et ses problèmes.

C’est le genre de reproches que j’ai commencé à entendre : qu’il avait la vie dure (à cause de moi principalement, puisqu’il avait acheté cette maison pour moi, se démenait pour mon gîte et mon couvert, etc.…) et que je ne le voyais pas. Selon lui, je faisais tout pour ne pas m’en apercevoir et même lui rendre la vie plus difficile. Quand je rentrais de l’école, j’accentuais sa fatigue avec mes babillages, apparemment exprès ; si j’avais de mauvaises notes (pour lui, en dessous de 15 c’est la débâcle, et bien des fois il a hésité à m’envoyer en pension, mais ça l’aurait obligé à se serrer encore plus la ceinture ce qui était, il faut le dire, impossible) il entrait dans une colère noire, disant qu’il se saignait aux quatre veines pour rien ; il passait des heures à me forcer à lui réciter mes leçons pendant qu’il travaillait dans la maison, et je le suivais avec mes cahiers dans la pièce de la maison qu’il rénovait. Je me rappelle avoir scandé, à moitié en larmes, à moitié en transe, pendant tout un dimanche après-midi, des tables de multiplication, au son du marteau, hurlant pour couvrir le bruit des outils et de mon père qui, perché sur son escabeau, dans l’escalier qu’il retapait, râlait que j’étais une incapable et que lui se tuait à la tâche pour une gourde (c’étaient ses termes). Imaginez le tableau. Pas évident que ce soit la table de 8 qui m’ait le plus marqué ce jour-là.

Les évènements de ce genre étaient de plus en plus fréquents, ou en tous cas de plus en plus évidents pour moi. Les choses ont atteint leur paroxysme quand mon père a entrepris de passer sa colère définitivement sur moi, au lieu de prendre sur lui. C’est-à-dire que la moindre bourde (et à 8 ans environ, on les accumule déjà facilement, alors selon les critères de mon père…) devenait une formidable excuse pour m’incendier pendant tout le repas. Comme cela suffisait de moins en moins, j’ai commencé à me faire engueuler en sortant de table, puis en allant me coucher. En quelques mois, à peu près, l’habitude était prise : j’en avais pour 2 heures chaque soir. Le calvaire commençait pendant le repas, et ne finissait pas avant qu’il ait vidé sa colère, en général dans les 2 heures qui suivaient. A table, je n’avais rien le droit de répliquer à ce qu’il me disait, et dans les premiers temps je n’y pensais même pas. Tout cela était ma faute, à n’en pas douter.

D’abord, comment en aurait-il été autrement ? Vous avez moins d’une dizaine d’années, et votre père (pas n’importe qui, mais votre père, et à vrai dire une des rares personnes que vous côtoyez dans la vie courante) vous assène des reproches du type : « Tout ça, c’est ta faute / tu es méchante / tu fais rien pour aider / tu nous gâches la vie / je me tue à la tâche pour toi / tu n’essayes même pas de comprendre tout ce qu’on fait pour toi / tu ne le mérites pas ». Et il ne fait aucun doute que c’est la plus stricte vérité, et comment oser le contredire ? Le simple fait de penser le contraire de tout cela n’est qu’une preuve flagrante de mauvaise volonté, et prouve la véracité de chaque mot. Je ne me figurais pas être autre chose que le Mal incarné, puisque j’osais causer du souci à mes parents, alors qu’ils auraient du être ma priorité. Pendant les heures de disputes que je subissais, je pleurais, mais uniquement parce que c’était désagréable, pas du tout parce que je trouvais ça injustifié.

J’ai donc passé des soirées entières, allongée dans mon lit, à écouter mon père me traiter de tous les noms d’oiseaux possibles et imaginables, avec le plafonnier de la pièce dans son dos, aveuglée et en larmes. Et je trouvais ça normal ; pire encore : je ne pensais même pas à la chose : c’était comme ça. Je ne voyais même pas l’utilité de revenir dessus. Pourquoi aurais-je remis en question la normalité de la réaction de mon père ? Pourquoi ses reproches, ses colères, n’auraient-elles pas été justifiées ? D’abord, avait-il besoin d’une quelconque justification ? Il avait raison puisqu’il était mon père, cet homme qui se sacrifiait à longueur de journée pour une ingrate. Il y avait de l’admiration pour lui ! Il avait le courage de me supporter, malgré tous mes travers, malgré le mal que je lui faisais.

En bref la situation a commencé à se dégrader de plus en plus. Rien n’arrêtait la progression des évènements. Et c’est environ à ce stade qu’en général, on s’interroge sur le rôle de ma mère…

Ma mère n’a pas connu son propre père, il vivait sa vie en-dehors du foyer avant que ma mère n’ait un an, elle ne l’a vue que trois fois dans sa vie. Pour elle, le père est tout-puissant. Un homme qui a la capacité de détruire une famille aussi vite qu’il l’a bâtie ne peut connaître de limite. Elle s’en est toujours remise à mon père pour les décisions de la famille ; elle collecte les renseignements utiles à la prise de décision mais jamais n’interfère. Son avis à elle ne compte pas et ne comptera jamais. Elle se sent à l’abri, de cette façon ; puisqu’elle ne peut pas déplaire à cet homme, il ne lui viendra pas l’idée de partir. Il restera auprès d’elle, quoi qu’il arrive, même si cela veut dire qu’elle mènera une vie étriquée, et même si pour avoir le moindre loisir elle est obligée de lui mentir et de faire certaines choses dans son dos (aller déjeuner avec des collègues, passer une heure ou deux chez sa mère qui habite à 500m, nous emmener faire les magasins quand nous sommes entrées dans l’adolescence, etc.). C’est un sacrifice nécessaire au vu du confort de la situation : elle n’a pas à se retrouver seule comme ça a pu être le cas pour sa propre mère. Rien ne lui fait plus peur que de déplaire, en particulier à mon père.

Partant de là, facile d’imaginer son genre de réaction. Elle reste dans mon esprit plus une épouse qu’une mère, la femme auprès de laquelle j’ai toujours eu le réflexe de me réfugier, mais qui me trahissait toujours au bénéfice de mon père. Un jour que j’avais eu le malheur de répliquer à ce dernier, une petite phrase dans le style de « Arrête de crier, essayes de parler normalement » (simplement parce que j’ai toujours eu des problèmes d’audition, ce n’est pas facile quand les gens crient, ils ont tendance à ne pas articuler et placer toute leur énergie dans la puissance de leur voix ; tout ça pour dire : je ne pensais franchement pas lui parler mal, je voulais juste comprendre), j’ai vu une lueur de rage dans les yeux de mon père, et j’y ai lu le danger. Mon réflexe a été de me précipiter à l’étage et de me cacher derrière ma mère. Celle-ci s’est écartée de devant moi, m’a prise par les épaules, m’a poussée vers mon père qui arrivait comme une furie et qu’on pouvait entendre hurler de colère dans l’escalier, et m’a dit : « Assume la conséquence de tes paroles ». Pourtant j’ai mis beaucoup de temps à cesser de me fier à elle. J’ai passé le plus clair de mon enfance et de mon adolescence à penser qu’elle était « de mon côté », que je pouvais me confier sans crainte. Et à chaque scène de mon père, je réalisais au travers de ses mots qu’elle lui disait toujours tout, et qu’il l’utilisait ensuite pour me faire de la peine et m’atteindre. Elle me dira une fois : « Stéphanie ne me parle pas à moi, toi tu es assez bête pour continuer. »

Pendant des années, le quotidien ressemblait à ce que je vous ai expliqué plus haut. Avec des mots toujours très blessants, et parfois des scènes d’une intense fureur pendant laquelle mon père perdait tout contrôle de lui-même (pas étonnant quand on sait à quel point il était obligé de se contenir dans le cadre de sa vie professionnelle, entouré de gens qui ne l’appréciaient pas et faisant un travail qu’il détestait). Il lui arrivait fréquemment de me dépeindre mon avenir ; j’allais devenir caissière dans un supermarché, si j’avais de la chance, et me faire engrosser par le premier venu. Je mènerais toujours une vie minable. C’étaient là ses mots, et j’ai commencé à les entendre vers 8 ou peut-être 10 ans.

Parfois cela dépassait le simple stade des insultes ou des horreurs verbales. Mon père en venait à lever la main sur moi, surtout si je le regardais de travers, si je pleurais trop longtemps pendant ses colères, si je le relançais dans sa fureur en disant quelque chose qu’il n’appréciait pas, ou même si je débarrassais la table différemment de ce qu’il aurait fait (en commençant par les couverts au lieu des verres, par exemple…). Je vivais dans l’absurde obsession de mesurer mon moindre geste, la portée du moindre mot. Même par temps d’accalmie, je devais peser chacun de mes sourires pour n’avoir pas l‘air de moquer de lui, de le chercher. Il est arrivé une fois, alors que nous fêtions le 1er de l’an avec ma Grand’Mère maternelle, que je fasse deux plaisanteries sur l’alcool, la veille et le jour de l’an, et mon père a fait tourner cela au drame, a claqué la porte, hurlé devant tout le monde, a décrété que pour lui il n’y avait pas de fête, et s’est isolé à 5 mètres de nous, devant la TV. Pourtant, nous sommes de souche bourguignonne, alors le vin, c’est dans notre culture, mais tout d’un coup c’était tabou, alors que ce n’était qu’une plaisanterie parmi tant d’autres, que je n’étais pas la seule d’ordinaire à en rire, et qu’à 11 ou 12 ans, je ne pensais pas à mal. Et d’ailleurs je les avais faites sans même y penser, je m’amusais et j’ai fait une plaisanterie quand elle se présentait. Mais il était persuadé que je l’avais pris pour cible et que j’avais cherché à l’humilier devant sa belle-mère… Il était imprévisible mais nous avions des codes implicites qui nous permettaient de limiter la casse et de prévenir la plupart des crises de colère.

Ses colères verbales étaient impressionnantes, mais les fois où elles sont allées plus loin, on frisait la démence dans la maison. Ma mère le regardait faire sans rien dire, avec l’expression la plus neutre possible sur son visage, et ma sœur a commencé par pleurer en voyant ce genre de choses (ce qui ne faisait qu’accentuer mes torts, puisque ma sœur avait la bonté de pleurer pour moi, alors que je faisais du mal à la famille), puis avec le temps, elle a pris le parti de faire comme si de rien n’était et de se noyer dans son assiette ou une occupation quelconque. Et moi je me voyais comme de l’extérieur, incapable de réagir, me laissant manipuler. Je méritais tout cela, de toutes façons. Les premières réactions de panique, lors des 2 ou 3 premières fois, avaient vite cédé la place à l’acceptation la plus totale. Mon seul geste significatif pour me protéger était d’avoir changé de place à table : au lieu d’être assise à côté de lui, j’étais assise en diagonale par rapport à lui, donc plus loin. Qu’il m’attrape par les cheveux pour cogner le coin de la table, m’écrase le visage contre un mur, ou me soulève de terre pour que je sois au niveau de son nez quand il m’insultait, je ne réagissais pas. S’il me giflait je n’éloignais pas ma tête ; il me serrait le bras de toutes ses forces et je ne cherchais pas à le retirer. S’il montait dans l’escalier, en furie, même en hurlant qu’il allait « avoir ma peau », je restais sur ma chaise ou mon lit à l’attendre, le regardais franchir la porte et me tomber dessus. Il m’envoyait des objets au visage et je ne parais même pas.

Sauf un soir. J’avais 16 ans depuis peu. Ce soir-là, je ne me souviens pas plus que pour les autres de quoi la rage est partie, mais on était en plein dedans. Il hurlait, m’insultait, récapitulait tous mes torts connus (une chose qu’il pratiquait presque toujours pour aller bien jusqu’au bout de sa colère). Aucune réaction spéciale, ni de lui, ni de moi, ni de mes voisines de table. Rien d’inhabituel, mais tout d’un coup, il a commencé à me lancer des objets à la figure. Le contenu de son verre, d’abord, mais ça c’était un classique. Puis une bouteille d’eau en plastique. Puis une assiette et son contenu. Et là j’avais réellement peur, je ne savais pas jusqu’où il pourrait aller. Quand il a voulu attraper le dessous de plat (un carreau de carrelage d’environ 1cm d’épaisseur avec un cadre de bois, pesant autour de 3 à 4 kg), là ma mère a réagi, pour la toute première fois, et la dernière d’ailleurs aussi. Elle lui a hurlé de s’arrêter, qu’il allait finir par casser quelque chose. Et là, je ne sais pas pourquoi puisque les choses tendaient à s’améliorer à première vue, j’ai réalisé qu’il y avait un problème.

Le lendemain j’ai raconté la scène à quelques une des mes amies, elles étaient horrifiées. Elles n’avaient jamais compris, quand je disais que j’avais des scènes avec mon père, que cela dépassait les récriminations classiques pour mon âge : elles haussaient les épaules en disant que tout le monde s’engueulait avec les parents. Et elles me confortaient dans l’idée que j’allais vraiment chercher midi à quatorze heures, mes premières questions étaient tuées dans l’oeuf…Mais cette fois c’était différent, elles étaient complètement alarmées, parce que pour la première fois j’avais pensé à expliquer en détail les évènements. Et à ce moment, à ce moment seulement, j’ai pris conscience qu’il y avait un réel problème, et que, peut-être, il ne venait pas de moi. Peut-être seulement, mais c’était déjà quelque chose.

Mon principal but a dés lors été de m’en sortir. Donc de partir, au plus vite. Au départ je pensais prendre mon temps, finir mes études à leurs frais, et profiter de leurs finances le plus longtemps possible pour m’assurer une situation. Les faits étant ce qu’ils étaient, ça n’était pas possible ; la situation à la maison, depuis que j’avais commencé à en prendre conscience (et donc à y réagir) devenait invivable. Je me suis vite rendue à l’évidence que, maintenant que je ne pensais plus que j’étais coupable mais plutôt quelque chose qui s’approcherait de la victime, j’allais répondre de plus en plus à ses attaques, et donc stimuler sa fureur. C’était en effet le cas, et après quelques fois où il a été surpris de mon comportement (répondre, crier aussi fort que lui voire plus fort), il a vite repris ses marques, et on est passé dans une phase de surenchère constante de violence verbale et même physique pour lui, il estimait devoir me « mater ». Voyant tout cela, je n’arrivais pas à trouver raisonnable de rester longtemps. J’ai commencé à négocier la possibilité de faire mes études loin de la maison, ça n’a pas été accepté, mais à la place, ils ont acheté un petit appartement sur Paris, dans lequel ils m’ont envoyé sitôt les épreuves du bac passées. Je suppose à propos de ce coûteux investissement que mon père avait vaguement conscience que si nous ne prenions pas de la distance, les choses pourraient mal tourner ; personnellement je m’imaginais sans peine mourir d’un jour à l’autre, c’était une donnée depuis longtemps : il avait le pouvoir de me tuer. Pendant la recherche et les négociations, ils m’ont dit que je devais travailler dés que je le pourrais pendant les vacances (en l’occurrence, trois jours après la fin des épreuves), et qu’ils ne s’occuperaient plus de moi comme avant.

C’était rien de le dire, parce qu’à peine mon sac posé dans l’appart, nous sommes passé par une longue période (environ 3 ans) d’indifférence mêlée de ressentiment. Pour eux, je ne faisais plus partie de la famille, mais je devais continuer à ménager les apparences, leur rendre visite tous les week end, les aider au ménage, etc.… Faire comme si rien ne s’était passé, même si dorénavant ils me traitaient comme une étrangère. Dans les deux semaines qui ont suivi, ma chambre chez eux est devenue un débarras, ensuite annexé par ma sœur qui me dira vite : « De toutes façons tu n’es plus de la famille, tu ne vis plus ici ». Je suis sommée de les appeler 3 ou 4 fois par semaine et leur faire un rapport circonstancié de mes activités, et si jamais j’ai passé un bon moment, déjeuné au restaurant universitaire avec une amie, passé une soirée avec Lord T ou n’importe qui d’autre, ils me font comprendre que j'abuse de leur patience, sachant que je loge gratuitement et que si j’avais le sens des réalités (mais ils ont pitié de moi) je devrais payer un loyer ; donc j’avais pour interdiction de me relâcher et j’étais enjointe à fournir un maximum d’efforts (comme si ce n’était pas déjà le cas !). D’ailleurs quand je suis chez eux le week end, je fais leur ménage...

Tant d’hostilité que je ne comprends pas, mêlée à d’autres éléments (je ne réussis pas mon année de fac d’Anglais aussi brillamment que je l’espérais, et abandonne avant d’être confrontée à un échec que je sens imminent mais qui en réalité ne l’était pas, je romps avec Lord T, puis subis une lourde peine de cœur qui me plonge dans la solitude…) me mènent petit à petit vers la dépression. J’ai arrêté les cours avant même d’être certaine d’avoir raté certaines UV, je m’isole, ne sors que pour aller chez mes parents le week end, alterne les périodes où je ne me nourris pas et celles où je dévore, prends 10kg en 6 mois, dépense des fortunes en babioles et choses inutiles ainsi qu’en cadeaux pour des amis sans qu’il n’y ait rien à célébrer, passe mes journées à pleurer dans mon lit… Bref c’est la débâcle.

Rien de brillant, l’éloignement de mes parents n’est pas la réussite totale à laquelle je m’attendais. Et pour cause : je ne connais rien d’autre ! Ne plus dépendre de leurs mesquineries jette un vrai trouble. Je suis perdue sans leurs critiques incessantes, je réalise que je m’étais construite dans l’adversité et qu’aujourd’hui je vis dans l’indifférence la plus totale. Je me déteste à leur place, je perds tous mes repères et réalise leur fantasme de ratage complet en ruinant mes efforts avant de les commencer vraiment. Mes parents me manquent, même si je ressens clairement le besoin de m’en détacher. Je ne suis simplement pas prête.

Quand quelques mois plus tard je finis par dire à mes parents par quelle genre de phase je passe, et à quel point j’ai été proche de l’autodestruction, la seule chose que mon père trouve à répliquer c’est : « Je le savais, demande à ta mère je lui ai dit, j’étais sûr que tu vivais ça ». La discussion n’a pas été plus loin. Quelques jours plus tard ils m’ordonnent de trouver quelque chose à faire l’année suivante, de préférence un travail parce qu’ils ne doutent pas un seul instant que je vais arrêter mes études. Je me débrouille donc comme je peux pour étudier en alternance et concilier les deux. Il n’est pas question que je n’aie pas de diplôme. Ils sont certains que je vais échouer ; pour rien au monde ils ne m’encouragent (de ce côté-là rien de très nouveau), ils m’empêchent parfois de travailler le week end quand je suis obligée de leur rendre visite. Je commence donc à faire des heures la nuit à l’école, au travail ou chez mes camarades de classe, et ne dormir que 4 heures par jour. Je connais en plus des mois difficiles avec mon premier employeur, qui me hurle dessus et me traite d’incapable, m’exploite de temps à autres, l’air de rien, et ne veut rien m’apprendre. Pour mon père, c’est l'évidence même : non seulement je ne suis pas faite pour les études, mais en plus je le mérite. Je tombe encore plus en dépression, pleure au travail et refuse de m’alimenter, tombe malade toutes les semaines. Les choses s’arrangent un peu quand mon école me prend en pitié et trouve un nouvel employeur…

La suite, vous la connaissez, je décroche finalement mon diplôme et pars rejoindre Lord T à Nantes… Mes parents ont toujours jugé que Lord T n’était qu’un gosse de riche pourri gâté, comme on dit chez eux, s’il est avec moi c’est par pitié, pas par Amour puisque je ne mérite rien qui y ressemble. Ils n’ont de ma vie qu’une idée très négative, et amener Lord T de temps à autres pour un déjeuner n’aide en rien parce qu’ils ne cherchent pas vraiment à parler avec lui, à apprendre à le connaître. Pour eux, mon désir de partir n’est qu’une futilité d’adolescente retardée, une rébellion tardive contre mes parents, et qu’avec un peu de jugeote je rentre vite fait, je m’excuse platement et je suis leurs consignes mot pour mot. Ce serait sans doute vrai avec n’importe quels autres parents. Avec eux, je souffre à l’idée de leur parler ; chaque semaine, je dois leur téléphoner, je n’ai rien à leur dire, et eux que des reproches à formuler. Dans le cas présent ils sont incapables d’imaginer que j’essaye de faire des choix de vie. Et ce, même si je reconnais qu’ils ne sont pas toujours judicieux, mais en même temps comment saurais-je que je suis dans l’erreur si je ne faisais pas ce genre de choix dangereux ? Je suis bien obligée de me tromper parfois, je préfèrerais éviter mais je dois comprendre que je ne pourrai pas toujours.

Et si je les laissais faire de moi ce qu’ils veulent, je serais chez eux, à briquer les escaliers comme il y a 10 ans, à endurer les humeurs changeantes de mon père, à me rendre folle de douleur à l’idée que ma famille me méprise… Je serais forcée de passer outre mes souhaits, mes désirs, mes rêves, simplement parce que je leur serais redevable du toit sous lequel je vis. C’est une concession que j’ai faite trop longtemps. J’en paye encore le prix aujourd’hui, je souffre toujours (et je ne pense pas que cela cesse jamais) de ne pas avoir des parents aimants, mais des ennemis près de moi, prêts à me dire les pires horreurs et m’en rendre systématiquement responsable. Je ne veux plus mener cette vie-là.

Voilà pourquoi, même dans la pire panade, je ne retournerai pas auprès d’eux, encore moins dans la situation de faiblesse de quémander de l’aide. Parce que cela signifie pour moi encore plus de souffrance. Que me détacher complètement d’eux m’a demandé un grand travail sur moi-même, pendant des années, seule et avec de l’aide. Cela m’a pris des années avant d’admettre que je n’avais plus rien à attendre d‘eux, qu’ils me feraient toujours du mal, exprès ou pas. En repartant de chez nous à Pâques, mes parents ont juste trouvé à se dire : « Elle devrait revenir à la maison » « C’est mieux comme ça, c’est une incapable, au moins on ne l’aura pas sur les bras jusqu’à 36 ans… ». Je ne suis pas sûre que ce soient les pensées qu'ont des parents dignes de ce nom quant à leur enfant. Je me fais peut-être une image naïve des parents, je ne sais pas, mais pour moi ce n’est pas normal. Et à vrai dire, inacceptable. Je ne peux pas, en étant en période de faiblesse et de désespoir, les laisser me traiter de la sorte. J’ai au moins gagné cela au cours des dernières années : un peu d’estime pour moi-même et un profond besoin de respect et de dignité.

Je ne suis pas sûre, au juste, de pourquoi je vous explique tout ça. Il y a sans doute 2 ou 3 pages que cela a cessé de vous intéresser. J’en ai ressenti le besoin en parlant avec Lord T, en rentrant de ce week end où j’ai été tellement furieuse contre vous. Nous parlions de votre accord avec ma mère de lui dire si quoi que ce soit d’important se produisait, et je l’ai ressenti comme une réelle trahison alors que vous m’aviez amenée à m’ouvrir à vous et vous faire confiance. Quand Lord T a dit « Mais on n’arrive même pas à imaginer que ce soit vrai, moi je le sais parce que je l’ai vu mais j’ai mis du temps », j’ai été frappée : je passe pour une mythomane. Dans mon esprit, ne pas me croire était impossible. Alors, je crois que d’essayer de tout vous raconter, avec même les détails qui ne plaisent à personne quand ils sont évoqués, ça me tranquillisait. Je m’imagine que vous comprendrez mieux. Je n’en suis pas sûre, je ne suis même pas certaine que ça ait une quelconque utilité.

Je crois que dans un coin de ma tête, je pense que dans quelques temps, quand les orages seront passés, que j’aurai une situation et Lord T son diplôme, nous essayerons de voir si nous pouvons nous remettre ensemble. D’ailleurs c’est un peu comme ça que nous pensons la séparation actuellement. Nous voulons prendre du temps pour régler les points sur lesquels nous sommes encore fragiles. C’était une sale année pour moi, j’imagine à peine pour Lord T qui n’a jamais eu tant de choses à affronter, tandis que j’ai plus ou moins l’habitude d’avoir des problèmes (même si là c’était un record, d’une certaine façon !). Je ne pense pas que je pourrais aimer qui que ce soit aussi fort que je n’aime Lord T, avec qui je veux vraiment faire ma vie. Ça me paraît ridicule parfois de penser de la sorte, mais pourtant c’est bien ce que je veux. Seulement, et Lord T a tout à fait raison là-dessus, ce n‘est absolument pas le moment. Nous ne sommes pas prêts, avec les épreuves actuelles, à envisager l’avenir posément. C’est dur à avaler mais d’accord, on va se séparer temporairement, stabiliser nos situations respectives et en reparler d’ici 2 ans. Alors dans cette perspective, je n’imagine pas rester en colère contre vous tout ce temps, en plus d’être particulièrement négatif et stérile, ça n’aidera personne en quoi que ce soit.

Cette lettre, c’est parce que depuis des mois vous me poussez à m’ouvrir à vous, et que par écrit, c’est encore ce que j’ai trouvé de plus facile, même si je reconnais que sur Word ça paraît impersonnel (mais je sais que ça aurait été plein de ratures, de larmes, complètement froissé… enfin bref, pas digne d’être envoyé).

Je me suis sentie bousculée pour entrer dans votre monde et vous faire partager le mien, j’espérais pouvoir y aller à mon rythme, je ne savais pas que le temps m’était compté. J’aurais essayé de trouver la force de tout raconter plus tôt, je crois, si j’avais su que je n’avais pas la possibilité d’y aller à mon allure. Je pensais sincèrement avoir toute la vie pour vous apprendre quel genre de personne j’étais, quel genre de famille j’avais, quel genre de vie j’ai menée avant ma rencontre avec Lord T et après. Je me voyais très mal vous raconter toutes ces choses au premier abord. Et pas beaucoup plus au second ni aux suivants…

D’abord parce que cela reste quelque chose de très vivace et intime pour moi, étant donné que je ressens toujours une sorte de culpabilité… Et puis, je déteste l’idée de faire pitié, ce n’est pas ce que je voudrais inspirer aux gens que je croise dans ma vie ! En plus j’ai l’impression, chaque fois que je le raconte et le partage, que c’est tellement horrible que ça appartient à la vie d’une autre, et m’en détacher me fait peur, je crains d’oublier la souffrance de mes 20 premières années (en gros) et de répéter certains schémas si j’oublie la gravité des choses ; mais bien sûr ce n’est pas la vie que je veux, donc je veux garder la douleur la plus intacte possible, la garder vivante et en tirer mes leçons chaque jour.

Et enfin, parce qu’évidemment, j’avais envie que vous me considériez bien, pas comme une fille tirée du caniveau et une source d’ennuis, ce dont j’ai finalement eu l’air, quelle ironie… Je voulais que vous m’aimiez, tout simplement, et un peu naïvement je pensais qu’on peut aimer une personne pour ce qu’elle est au moment où on la voit, plutôt que pour ce qu’elle a pu faire ou être auparavant. C’était un peu stupide de ma part, mais je voulais ne pas être mes problèmes, et encore moins être mon passé. Je pensais que d’être juste gentille, polie, et de montrer à quel point je peux aimer Lord T, ça aurait pu suffire. Je l’espérais parce que rien de ce que je pouvais vous dire sur moi n’aurait joué en ma faveur, et dans mon optique, les choses auraient dû durer avec Lord T ; je n’aurais pas voulu que mes « beaux-parents » aient une image si négative de moi. Et à vrai dire, que quiconque ait une image négative de moi est une idée qui me traumatise. J’ai besoin de penser que je ne suis pas une mauvaise personne, et que les gens qui me connaissent le pensent aussi.

Je vous ai mis quelque chose comme 85% de la lettre. A sa lecture, ce qui m'a frappée, c'est à quel point j'étais, il y a quelques mois, fermée à l'idée d'avoir un jour, à nouveau, des parents, et donc à reprendre contact avec ceux qui sont, soi-disant, les miens. Il semblerait que le coup de fil d'aujourd'hui ai jeté le flou sur ce point.

Ma soeur, grand bien lui fasse, m'a appelée dans la soirée, étonnée que je veuille reprendre contact, et que je l'aie promis à ma mère. C'est du moins ce qu'elle a appris en même temps que mon père. Comme il n'en est rien, je comprends que là-bas, peu de choses ont changé.

Maintenant, c'est une question de priorités. Et d'orgueil sans doute aussi. Ma famille m'a toujours fait comprendre (ou dit frontalement, telle ma grand'mère maternelle) que l'orgueil, on en avait toujours trop, que c'est une chose qui n'aide pas. Pourtant j'ai du me forcer toutes ces années pour trouver en moi un tantinet d'orgueil, me permettant, pour le moins dans certains domaines, d'avoir quelque chose qui ressemble à de la dignité et une certaine confiance dans mes qualités. Piétiner tout cela au nom du désir d'avoir un toit au-dessus de ma tête me semble un immense pas en arrière. Qui plus est, ce serait effectivement revenir en perdante et perdre définitivement toute crédibilité dans ma famille.

Quelle horreur, je m'aperçois combien mes calculs ressemblent à ceux de personnages de séries politiques (là tout de suite je pense à A la Maison Blanche et Babylon 5). Voilà à quoi ressemblait ma vie et un seul coup de fil me fait replonger dans ces tractations.

Si seulement j'arrivais à mettre cela de côté et si je réussissais à résoudre les choses par moi-même, sans une quelconque aide... Ca serait idéal, mais apparemment utopique...

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6 octobre 2004

Solution

J'étais en train de me dire, suite à un coup de téléphone inattendu de ma mère (à qui je n'ai pas parlé depuis le début du mois de juin environ), que parfois, quand une solution se présente d'elle-même, il faut se permettre d'ouvrir son coeur pour la recevoir, plutôt que de se dire, non sans orgueil, qu'on devrait être capable de trouver une solution par soi-même, ce qui semble toujours préférable au premier abord.

Peut-être que dans le cas présent, ce qui semble un retour en arrière est peut-être un pas en avant ? Cela mérite en tous cas réflexion.

5 octobre 2004

Trust

Apparemment et si j'en crois mon expérience récente, il n'existe rien de plus fragile que la confiance. De fait, je vis en ce moment une série de déceptions personnelles, où les gens m'écoeurent un tant soit peu de par leur comportement.

Quand je regarde en arrière, je m'aperçois que je n'ai jamais eu la confiance de mes parents. J'ai longtemps cherché pourquoi, mais il s'est avéré que ça ne venait pas, comme je le pensais, de moi, mais bien de mes parents. La vie les a blessés à un tel point qu'ils ne sont capables de faire confiance à personne, pas même leur propre fille. Bon, ça, c'est réglé. Mais ce que je sais sans avoir pu le soigner, c'est que moi-même je suis incapable de confiance en moi. Je le voudrais mais en général, ça ne dure pas. C'est un fait et j'y travaille.

Mais pourquoi le reste du monde semble-t-il se défier de moi ? Et pourquoi me donne-t-il toutes les raisons de lui rendre la pareille ? Mystère.

Hier encore, j'apprenais que les parents de Lord T se défient de moi, ils ont peur que je reste seule dans leur appartement, comme si j'allais les voler. C'est tout de même incroyable, ça : chaque fois qu'ils m'ont proposé de l'argent, des frais faramineux ou ce genre de choses, j'ai refusé. Quand ils ont refusé mes chèques de loyer, j'ai pesté (sans succès). Et aujourd'hui, ils croient que je vais leur subtiliser quelque chose en leur absence. J'en conclus que pour avoir l'air honnête en ce monde, il ne suffit pas de l'être. Je trouvais mon comportement clair pourtant. Depuis que je sais que Lord T est pêté de pognon, je me surveille afin qu'il ne puisse jamais être dit que j'ai profité de lui. La plupart du temps, je fais des frais incroyables pour faire plaisir, et je radine quand c'est le tour de Lord T de payer, sacrifiant l'agréable comme l'utile histoire de minimiser sa note.

La seule chose de valeur que Lord T m'ait jamais offerte est le jeu des Sims 2, qu'il m'avait promis alors que nous étions encore amoureux, et qu'il savait pertinemment que, vu le prix, je ne l'aurais pas acheté moi-même en ce moment, vu ma situation financière (ç'aurait alors paru hautement suspect vu qu'il est clair que je suis juste financièrement). Bref, j'ai toujours fait très attention.

Nan bon, ok, j'ai volé quelque chose UNE FOIS à Lord T. Il venait de me larguer, je lui ai piqué une photo d'identité sur son bureau (il est anti-photo et depuis près de 5 ans que je le connais je n'en avais pas encore), et encore il en restait deux autres rigoureusement identiques (sans quoi je ne me serais pas permis)... Si c'est que ça je la leur rends.

Pourquoi sitôt qu'on manque d'argent, qu'on n'a ni revenu ni famille sur qui s'appuyer, est-on immédiatement soupçonné des pires intentions ? Voilà qui me dépasse. Les gens pauvres seraient forcément malhonnêtes ? Je ne comprends pas comment ils ont pu se mettre une telle chose dans la tête. A quel moment mon comportement a-t-il pu être équivoque ? Quand j'ai refusé leur argent ? Quand j'ai refusé toute aide financière superflue ? Je n'ai demandé que le strict minimum : pouvoir garder un toit au-dessus de ma tête. Là comme ça, ça ne me semble pas être un caprice follement excentrique comme souhait ! Si ? Ou est-ce que je fonctionne sur un système de valeur erronné ?!

Pour ce qui est de la famille de Lord T, j'ai mon compte. J'vous jure que si je peux me couper d'eux...

En fait la confiance, sincèrement, je n'imagine pas ressentir cela à nouveau un jour. Ni confiance dans les gens, ni dans la vie, ni dans quoi que ce soit. L'expérience a prouvé que c'est le meilleur moyen de subir de lourdes désillusions.

Je n'ai pas envie de m'endurcir, je n'ai pas envie de me blinder, je n'ai pas envie de me fermer, je n'ai pas envie de devenir froide. Mais est-ce que j'ai vraiment le choix... Combien de fois la vie va-t-elle me violer encore ?

5 octobre 2004

Pardon ?!

Pardonner, pardonner, pardonner. Aujourd'hui on ne vous demande plus que ça. Les termes se sont mêmes insinués dans notre langage courant. On vous demande pardon pour tout : parce qu'on vous a bousculée dans le bus, parce qu'on veut vous obliger à laisser passer quelqu'un, parce qu'on veut vous demander quelque chose, parce qu'on se sent pas bien, pour excuser son comportement, enfin bref, pardonner est, si l'on en croit nos contemporains, une joie de tous les instants.

Sans déconner ?!

Pardonner me semble requérir un peu plus de moi-même chaque jour. Je suis sensée pardonner depuis toujours, pour ainsi dire.

En premier lieu, il fallait pardonner à mon père son comportement. C'est vrai, ce n'est pas sa faute. D'abord la vie était injuste avec lui, et ensuite je le poussais à bout. Enfin, c'est ce que me répétait ma mère. Il fallait lui pardonner à elle aussi, d'ailleurs, de toujours prendre la défense de celui qui était déjà en position de supériorité et qui en abusait sitôt que le reste de sa vie l'écoeurait. Pardonner à ma soeur, ensuite. Elle est petite, elle se rend pas compte. Ensuite on pardonne, dans la lancée, à tout un tas d'autres gens. Ceux qui vous piétinent, ceux qui vous ignorent, ceux qui veulent partir, ceux qui vous promettent un avenir et volent votre présent.

Et sans s'en rendre compte, on prend le pli de pardonner à tout le monde la moindre chose. Tout écart se trouve expliqué : oui mais la journée a été dure, oui mais la vie a été dure, oui mais son caractère fait qu'il est perdu, oui mais, oui mais, oui mais. Et en fin de course, me voilà qui m'aperçois que j'ai passé le plus clair de ces 22 années à pardonner à tout le monde, excepté moi.

Les gens n'ont vraiment aucune honte, n'est-ce pas ? Vous déployez des trésors dans votre coeur, pour être ce que vous pensez une bonne personne, et vous voilà couronné roi des dindons. Vous culpabilisez de n'avoir pas pardonné.

Le pardon est une valeur à la mode. Films, séries, livres, tout vous rappelle qu'il faut pardonner. Tout cela est pétri de croyances chrétiennes qui s'obstinnent à vous faire croire que pardonner à un autre, c'est lui donner une chance, et tuer dans l'oeuf toute velléité de méchanceté et de rancoeur en vous. Mais en réalité, si tout cela avait du bon ?

Pardonner, oui, mais si au moins les gens autour de vous voyaient que vous en avez fait l'effort ! Nenni ! En fait, il voient que vous en êtes capables et ne se figurent pas un instant que vous ne saurez pas le refaire. Et les gens commencent à abuser de votre patience et de votre bonté.

Ce soir, une fois de plus, j'ai puisé en moi la force de pardonner. Bon gré, mal gré. Après une haine si forte qui m'a possédée tout l'après-midi, me voilà face à une part de moi-même qui réclame la Paix, et qui n'a rien trouvé de mieux que pardonner à celui qui m'a tant blessée, et de revenir à lui, gaie, pimpante, plaisantant et l'embrassant. Cette part de moi, je ne suis pas dupe, réclame une paix que je ne peux apporter à moi toute seule. Il ne dépend pas de mon pardon que nous nous entendions bien, il dépend de ce que je ne sois pas la seule à râcler les dernières bonnes volontés qui pourraient traîner ça et là en moi.

Mais je l'ai encore fait. Et je me demande si je ne prépare pas ainsi le terrain d'une haine encore plus farouche. C'est vrai, quand je n'avais pas encore pardonné à mon père (ça fait à peine 3 mois l'exploit a été accompli, tout de même), je ne m'en portais pas plus mal. Je lui en voulais tant que je me défiais de lui comme la peste. Certes, mes barrières étaient trop élevées, d'un autre côté elles me protégeaient très bien (sur la fin. Mais vous n'imaginez pas le temps qu'il a fallu pour les dresser). Je n'ai jamais eu à m'en plaindre. Et puis un jour j'ai touché en moi de quoi le pardonner, ça m'a semblé naturel, et également utile pour tourner cette page de ma vie. Mais aujourd'hui, si ma soeur me rapporte quelque chose sur lui, je souffre à nouveau.

En fait, le pardon évite la souffrance à celui qui le reçoit, pas celui qui le donne.

4 octobre 2004

C'est une question d'éducation, avant tout

En ce moment, mon éducation me turlupine beaucoup. Je n'avais jamais réellement fait attention, mais en définitive, sur la majorité des sujets, des domaines, et des aspects de ma vie, je me suis éduquée toute seule.

Ok, ce n'est pas tout à fait vrai dans un premier temps. Mes parents m'ont appris tout un tas de choses qui répondaient parfaitement à leurs exigences morales, et à leurs critères. Se taire. Respecter la famille par-dessus tout (souvent en confondant respect et peur). Avoir le sens des priorités (la n°1 étant, je vous le donne en mille : eux). Etre polie. Travailler. Beaucoup travailler. Vraiment beaucoup travailler. Mépriser le plaisir. Culpabiliser. Se rendre responsable de tout sauf de soi. Voyons, quoi d'autre ? C'est déjà bien.

Brillants enseignements en vérité. Alors sur le coup de 15, 16 ans, ce qui germait tout doucement dans mon esprit s'est épanoui d'un coup : ce n'est pas parce que ce sont mes parents que ce sont de bonnes personnes. Et s'ils se trompaient ? Et si toutes ces valeurs étaient mauvaises ? Ou seulement certaines ? Ou aucune, en fait ? Qui peut dire ? Eh bien, moi et seulement moi, et finalement c'est là que mon éducation a commencé.

Je me suis éduquée à discerner ce qui était une valeur acceptable, de ce qui ne l'était pas. Parler. Ecrire. Respecter les gens qui vous le rendent bien. Avoir le sens des priorités (la n°1 étant moi). Etre polie. Etre très polie (mais jurer un peu de temps à autres). Travailler. Beaucoup travailler. Rechercher le plaisir. Déculpabiliser. Se rendre responsable de tout et de soi. Etre exigeant. Avoir des rêves. Des projets. Avoir un avis sur tout. Se faire un avis sur ce sur quoi on a pas déjà un avis. Etre curieux. Etre compréhensif. Etre tolérant. Donner tout ce que l'on a dans l'âme sitôt que quelqu'un cher à votre coeur le demande.

Mais au fond, qui peut dire si ce sont de meilleures valeurs ? Qu'est-ce qui prouve que mes choix sont meilleurs que les leurs !? Et si j'étais encore dans le faux, si j'étais une mauvaise personne, juste différente d'eux, pas meilleure ? Cette seule pensée me fait horreur.

Finalement je n'ai pas fini de m'éduquer, il reste encore une valeur principale à apprendre : avoir des certitudes.

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4 octobre 2004

Haine

Pas facile de rester humain quand on se sent malheureux. J'ai toutes les peines du monde à garder de l'estime pour moi-même lorsque ma vie me fait horreur. Cependant, je pense que l'image que j'aurais de moi serait pire encore si je ne faisais pas d'efforts pour faire ressortir le meilleur de moi-même, y compris quand cela n'est pas nécessaire.

Après tout, quand il s'agit de survivre, peu importe à quel prix, n'est-ce pas ? Eh bien non, je m'acharne à essayer de bien faire les choses, bien traiter les gens. C'est aussi comme ça que je vais survivre, me semble-t-il parfois. Quand la période de crise sera passée, il faudra tout de même pouvoir affronter le regard de la femme dans le miroir. Ce n'est pas donné à tout le monde...

Pourtant il est des moments où la haine me submerge. Où toute atteinte à ma personne, mon intégrité, et le respect minimum qui, me semle-t-il, m'est dû, me met dans une colère noire et dévastatrice. Dans ces moments-là, je voudrais tuer, pire, blesser, profondément, et si possible mentalement. Je suis cruelle, et j'ai une certaine satisfaction à l'être. Je me repais de l'idée qu'on n'est pas meilleur avec moi et que donc je peux m'octroyer ce droit d'être infâme. La vie l'a bien été elle. Et il l'est bien, lui, lorsqu'il me menace de me mettre à la porte, tout en me rabaissant le plus possible. Et moi, je devrais rester calme, impassible, prendre sur moi et être patiente ? Parfois la patience devrait aller se faire foutre.

Je n'ai aucun mérite de savoir frapper où cela fait mal, et d'être réellement mauvaise. Tout le crédit en revient à mes parents. Ils me l'ont si bien appris, je ne fais que rendre justice à leur oeuvre. Pendant des années j'ai vécu des joutes verbales d'une profonde laideur et d'une cruauté sans nom, la règle implicite semblait être que celui qui se tient encore debout mentalement a gagné. J'ai eu une formation du tonnerre sur ce terrain. La haine, je sais la libérer, la laisser inonder mon esprit et prendre une force presque sanguinaire.

Parfois dans un accès de rage (souvent parce que, comme une bête, j'ai été blessée et que cela libère mes pires vilénies), je m'exclame "Tu veux être méprisant ? Tu veux être cruel ? Tu veux être méchant ? Vas-y, viens, c'est mon terrain, j'ai grandi là-dedans, je peux jouer à ça, je peux le faire et je te ferai mal moi aussi. Tu n'as même pas idée de ce que je peux faire. Entraîne-moi sur ce terrain, tu vas m'y trouver".

Et à l'intérieur de moi-même une voix frissonne de peur, je ne sais pas si c'est une part de moi que j'effraye parce que je suis intimidante, ou parce que je hais ma haine, et que je la sens prête à me dévaster autant qu'à dévaster l'autre. Il y a tellement de violence en moi que je suis touchée la première. Voilà qui avant tout, blesse, l'image que j'ai de moi-même, une fois revenue au calme.

Mais aussi, est-ce ma faute ? Après tout, on a tous nos limites, et on ne peut décemment pas accepter que d'autres les franchissent impunément, en espérant que nous passerons l'éponge. Parfois c'est simplement trop. Et je me suis construite dans un univers où ce genre d'irrespect payait cher. Peut-être que si le monde arrêtait de me faire autant de mal, cette haine en moi s'étoufferait. Il me semble que c'est déjà arrivé temporairement, mais c'est vrai aussi que juste après, je me reprochais d'avoir baissé ma garde. Il faudrait ne jamais avoir à s'endurcir autant.

Cette haine que je ressens depuis ma plus tendre enfance s'est calmée, ou plutôt porte désormais sur autre chose. Je n'en veux plus tant à mon père : j'en veux à la vie. C'est elle qui l'a abimé et me l'a donné tout cassé, tout tordu, tout dysfonctionnant. Et fait de même avec moi, petit à petit.

Et des jours comme aujourd'hui, j'ai envie de me lever et de lui dire, à la vie : "vas-y, viens, essaye, je vais te buter, je vais te faire souffrir comme personne avant tu seras brisée, tu seras une loque". Mais on lui fait pas ça, à la vie. Ca ne marche pas comme ça.

Et puis, finalement, ça marche comme ça avec personne. Le mal que je fais aux autres dans ces cas-là, il me revient : on fait monter les envies de vengeance, de haine, de colère, de blessure, d'affrontement. Et on ne s'en sort ni grandi, ni très en forme.

J'ai pourtant essayé, je le jure, d'être patiente. Compréhensive. Tolérante. De prendre sur moi et de me dire que ce n'était qu'une phase. Mais, quoi ? A un moment, laisser couler ce n'est rien d'autre qu'être faible. Pas question d'être faible. Ma vie va mal, c'est une chose. Que je me laisse piétiner en est une autre, et c'est hors de question.

En fait le dilemme est le suivant : libérer la haine qui heurte tout le monde y compris une part de mon âme, ou me laisser piétiner et à terme, n'être plus personne...?

3 octobre 2004

J'ai oublié aussi

Je viens de regarder la fin de Sept à Huit sur TF1, où une jeune fille expliquait son enfance malheureuse, qu'elle a consignée dans un livre. J'ai reconnu beaucoup de choses en elle qui sont en moi, au niveau du comportement principalement puisque je n'ai pas été battue à proprement parlé. Je regrette de n'avoir noté que le titre de livre et pas le nom de cette jeune fille...

EDIT : j'ai réussi à trouver le lien vers Amazon, la fiche de ce livre est ici.

3 octobre 2004

Ils ne reviennent jamais

J'étais en train de repenser à toutes les personnes qui ont disparu de ma vie. Et elles sont nombreuses.

Pourtant, pas une n'est morte (enfin, je ne crois pas). Mais elles s'en vont et ne reviennent jamais. Et bien-sûr, ne font jamais mentir le proverbe qui énonce, sententieux, que "ce sont toujours les meilleurs qui partent en premier".

Je n'ai jamais eu à affronter la mort d'un proche. Il faut dire que je ne connais pas la moitié de ma famille. La moitié ? Les bons trois quart ! Mes parents ont eux-mêmes fait un sacré tri dans leurs relations. Mon père s'est fâché avec tous ses frères et soeurs. C'est une prouesse, quelque part : sur 3 frères et soeurs si différents de lui, il n'a pas réussi à s'entendre avec ne serait-ce un seul d'entre eux ! Quant à ma mère, elle est fille unique, et de toutes façons, sa vie sociale et familiale s'est complètement faite phagocyter par celle de son époux. En prenant son nom, elle a oublié les siens. Elle laisse à sa propre mère l'honneur de partir à la recherche de nouvelles à sa place. Non qu'elle se soit fâchée du moins, il ne me semble pas, mais... c'est une sorte de fénéantise.

Donc, je n'ai jamais expérimenté la perte d'un membre de ma famille. Certaines personnes s'en sont étonnées : normalement, même s'il s'agit d'une lointaine tante ou d'un cousin non germain, on a tous connu ça au moins une fois. Eh bien, non, pas moi.

Mais j'ai souvent eu l'impression de vivre des pertes tout aussi douloureuses. La perte de quelqu'un qui n'est pas due à la mort est encore plus douloureuse : elle est voulue. C'est pire. Et en général, ps par vous. Mais même quand c'est le cas, ça fait mal. C'est pas dingue, ça ?

Une chose que j'ai apprise, cependant : une fois que vous les laissez partir, ils ne reviennent jamais. Quoi que vous fassiez, ils ne reviennent jamais. Parfois vous arrivez à avoir une conversation ou deux avec eux, au téléphone ou en live, parfois vous regardez le calendrier en vous disant que c'est son anniversaire et que ça fait 10 ans que vous ne le lui avez pas fêté.

Au départ, celle qui s'éloignait, c'était moi. Mes parents nous ont tant fait déménager quand j'étais petite ! Longtemps, mes amis ont été rares, ou très envahissants parce qu'unefois que j'en avais un ou deux, je les laissais m'accaparer et prendre toute la place. C'était tellement rare que je ne faisais pas la part des choses !

Et puis, quand enfin nous avons emménagé dans notre maison (comment puis-je dire "notre" ??? Je n'y ai pas posé les pieds depuis près de six mois et n'y retournerai plus jamais), la tendance s'est inversée et ce sont les autres qui ont pris le soin de disparaître de ma vie. Mon Dieu, quand je fais le compte : Sophie, Géraldine, Dao, Arnaud... et tous les autres, les un peu moins vitaux, ceux qui étaient vraiment de bons compagnons de route mais qui, quand je regarde en arrière, ne pouvaient pas tenir le cap, n'étaient pas taillés pour.

Il y a quelques mois, c'était à nouveau mon tour de laisser quelqu'un derrière moi, et la blessure est encore fraîche. On ne quitte pas ses parents de gaîté de coeur : on le fait parce que rester fait encore plus mal. Et entre deux maux, toujours choisir le moindre, à moins d'être masochiste mais ce n'est pas le genre de la maison.

Et aucun n'a jamaisrien fait pour revenir. Ils s'attendent à ce que vous fassiez des pieds et des mains. Mais la douleur est telle que vous restez plantés là, en vous sentant impuissant (et sans jamais vérifier si c'est bien le cas).

Avec Lord T, je n'ai pas voulu baisser les bras. Et c'est pire encore. Cette fois j'ai l'impression de ne pas être capable d'empêcher la séparation. Il ne veut pas partir, mais il ne veut pas rester, non plus. Pas en l'état. Et c'est dans ces cas-là que je mets toute ma patience, toute ma compréhension, toute ma compassion, à trouver une solution. A prendre les choses paisiblement au lieu de hurler, de pleurer, de trépigner, de faire mille folies, de formuler mille menaces... ça demande tellement d'énergie d'être une personne digne. D'être une personne forte. De cultiver le petit lien qui reste et d'espérer que, non, pas cette fois, il ne partira pas, pas tout à fait, il s'éloignera, peut-être, mais restera dans ma vie.

Je me dis que si ce lien se casse, pas plus qu'un autre je ne pourrai le reconstruire, seule, de mes mains. C'est encore plus difficile avec quelqu'un qui est aussi émotionnellement anesthésié.

Mais comment accepter cela ? Ce n'est pas la faute à pas de chance, ce n'est pas tolérable, je ne peux plus laisser partir quelqu'un sans rien faire, les bras ballants, en pleurant. Je pouvais me permettre de faire ça quand j'étais môme, quelle serait mon excuse à présent ? Tant de gens que je voudrais avoir encore dans ma vie et que j'ai laissés partir...

Grandir, c'est ne pas laisser tomber devant l'adversité, n'est-ce pas ? C'est quitter ceux qui vous font mal depuis des années, et garder, dûssiez-vous vous briser les bras à force de tenir la corde, les gens que vous aimez auprès de vous. Non ? Ou est-ce le contraire ? Accepter de laisser partir les gens même si personne au monde ne pense que ce soit bien, juste parce que ça se produit, presque par hasard...?

Se laisser faire, se laisser oublier ? Ca semble impossible.

Et je ne peux pas admettre non plus d'être seule au monde. Qui admettrait une chose pareille ? Il ne me reste que lui, c'est lui qui me connaît le mieux au monde, et inversement. Si je laissais tomber pour lui, alors autant me laisser tomber moi-même. C'est le pire aveu d'échec, la pire remise en question qui soient, accepter que ce qu'il connaît vaut la peine d'être laissé derrière, accepter que ce que je connais n'a pas plus de valeur qu'un souvenir vague et lointain, et surtout, considérer que presque 5 ans de ma vie et de notre vie, peut s'engouffrer dans le néant sans rien dire.

Je suis sensée laisser faire ça ? Je suis sensée poursuivre seule, loin des gens qui me font du bien, poursuivie par les douleurs infligées par les autres ?

Qui fait ça ? Comment font les autres ?

Voilà, c'est le genre de questions qui empêchent un tantinet de dormir. Allez, cette fois il faut que j'y aille. Faut que je dorme. Mal barré pas vrai ?

3 octobre 2004

Quand vient la nuit

Mon pire cauchemar ne se déroule pas quand je dors, mais bien quand je dois dormir. Je ne connais rien de pire qu'avoir cette obligation devant soi et savoir qu'on ne peut qu'y fléchir... mais que le simple fait de savoir qu'il faut le faire est déjà un signe que cela sera impossible.

Soyons clairs : j'ai tenté toutes les techniques prétendues "éprouvées", mais la plus éprouvée c'était toujours moi à la fin. Il y a plusieurs écoles de conseils qu'on peut trouver dans son entourage. D'abord, ceux qui vous disent qu'il suffit de vouloir dormir. Sincèrement, qui voudrait perdre plusieurs heures de sa journée quand il n'est pas satisfait du tour que les heures éveillées ont pris ? Personnellement, quand je ne suis pas contente de ma journée, je préfère m'acharner sur elle afin d'y trouver au moins un bon point. La finir en beauté, à défaut de l'avoir bien vécue. Avoir trouvé un peu de réconfort dans le fait qu'elle n'a pas été tout à fait pourrie. Il y a ensuite ceux qui prétendent qu'il ne faut penser à rien, mais ce sont en général ceux qui ne pensent à rien ni avant de dormir, ni le reste de la journée. C'est facile pour eux ! Mais moi ? Moi qui pense déjà à demain, aux lendemains, à ce que je devrais réussir à faire, à ce que j'aurais dû faire, et si je l'ai fait, cela a-t-il été bien accompli ? Ok, on oublie cette fichue technique, c'est comme de recommander à quelqu'un qui a un bouton de moustique de ne pas se gratter. Combien d'entre vous ne grattent pas du tout le boutons de moustique ? Pas un petit coup d'ongle ? Même pas du bout d'un doigt ?

De toutes façons, plus j'essaye de dormir, moins j'y arrive. Quand on se répète pendant plusieurs heures "il est tard, il faut que je dorme, maintenant", ça ne fait que vous mettre face à l'évidence : vous ne dormez pas. Et avez peu de chance d'y arriver de la sorte.

Avec moi, ce qui marche, c'est l'épuisement. Il survient classiquement entre 3 et 6h du matin. Pendant très longtemps, j'ai pensé que mon rythme de sommeil était décalé. Qu'à la limite, avec le décalage horaire, je me sentirais mieux, mettons, au Canada. Nenni, mes amis. Au Canada, c'est pareil qu'en  France : quand il faut dormir, vous n'y êtes pas prêt. Vous n'en avez pas envie. Vous avez peur. Vous avez mille autres choses à penser.

Donc, je suis devenue Docteur ès Insomnies. Je sais mieux que quiconque comment les meubler, et jusqu'à quel point. Cela semble simple au premier abord mais c'est là toute une technique, et c'est à vous oui vous, petits veinards, que je vais la dévoiler. Avouez que ça valait le coup de venir lire ce blog non ? Une insomnie réussie repose sur trois pilliers : avoir quelque chose à faire, quelque chose à boire, et savoir quand elle finit. Quelque chose à faire ? A votre guise, personnellement rien ne marche aussi bien qu'un écran, télévision et/ou ordinateur. Quelque chose à boire ? Selon la saison : un verre de lait glacé (ceux qui racontent que le laid chaud marche pour dormir ont sans doute la nostalgie du temps où, enfants, après une journée pleine de cavalcades et de rires, même une intraveineuse d'adrénaline les aurait envoyés au pays des rêves), un verre de thé glacé, ou encore du sirop d'orgeat. Pour ce qui est de quand s'arrêter, j'ai eu longtemps du mal à le discerner. Quand vous baillez plusieurs fois par minute, que votre dos craque sinistrement, et que vous vous resservez du thé pour la énième fois depuis le début de l'épisode, là, résolument, vous commencez à lutter instinctivement contre le sommeil. Il est donc temps de passer à la phase suivante : lutter contre la terreur de dormir.

Mais, dans le fond, pourquoi ai-je peur de dormir ? Parce que j'ai peur du noir ? Bon, d'accord, peut-être, ces maudits "vampires" me font encore m'emmitouffler dans ma couette même au coeur de l'été, et cela, bien que j'aie allègrement passé les 22 ans à présent. Mais pas seulement. Parce que dormir, c'est à la fois admettre que la journée est finie (et donc accepter l'échec), et se résoudre à attaquer la suivante. Sans savoir, c'est une aberration, ce qu'elle réserve. Et, selon mon expérience, rien de bon.

En plus, ce n'est pas parce que la lumière est éteinte (ou en tous cas le plafonnier, puisque le noir total m'est impossible, j'ai besoin de garder un oeil sur mon environnement) que vous dormez. Nooooooon. Pensez vous, trop facile. Votre cerveau n'est pas tout-à-fait éteint, lui, pas même après 28 heures de veille, pas même après un épisode de Derrick, même pas après deux cachets soigneusement choisis par votre médecin. En général, il montre juste quelques signes de faiblesse que vous devez exploiter. Percer les défenses, et elles sont nombreuses, et solides. Vous luttez contre vous-mêmes. il est vite une heure de plus que quand vous avez remonté la couette sous votre nez la première fois. Il faut un peu plus chaud, alors vous partez ouvrir la fenpetre, vous êtes à nouveau réveillé. Ca peut tout bonnement durer jusqu'au petit matin si vous n'adoptez pasune tactique vile : la diversion. Orientez votre cerveau vers un lieu qu'il ne peut pas refuser d'aller chercher, mais qui ne cause pas de tracas. Faites-lui imaginer une autre vie.

Oui, j'ai fait mes plus beaux rêves à ce moment-là : quand mon esprit commençait à divaguer mais pas assez pour me montrer autre chose que ce qui pouvait m'apaiser. Mais mon vrai rêve, c'est de n'avoir pas peur de dormir. Parce que c'est aussi paralysant que d'avoir peur de vivre.

1 octobre 2004

Les ficelles du métier

Je pense très souvent à ce que mon éducation m'a donné, et que je trimbale sans m'en rendre compte.

L'un des exemples les plus flagrants, c'est ce réflexe d'analyser les gens. J'ai parfois l'impression de les passer au scanner. Le moindre de leurs mots semble enregistré dans ma base de données secrète, et je suis capable de ressortir n'importe quelle information "importante" sur cette personne. Y compres (et c'est bien là que c'est le plus angoissant) quand ça peut me servir.

Ce qui me fait faire des cauchemards, c'est que tout cela se fait de façon instinctive. J'ai ça sous ma peau, dans mes veines, presque dans mes gènes. J'ai fini par passer un peu de temps à réfléchir dessus et ça s'est imposé à moi : c'est mon enfance qui veut ça.

J'ai tout de même passé les quelques 18 premières années de ma vie à comprendre (ok, je corrige : tenter de comprendre) mon père et son comportement. Je cherchais à lep révoir. C'était nécessaire. Un simple mot avait de complètement différentes implications selon que, par exemple, il était bien ou mal levé. De bon poil ou non. Qu'il s'était engueulé avec quelqu'un au boulot dans la journée ou pas. Qu'une nouvelle facture avait atterri sur le coin de la table dévolu à ce genre de petites piques du quotidien, ou au contraire une liasse de photo venant de ses parents. Ca semble pourtant évident. Mais pas avec mon père. Car chez lui, tout se passe toujours sous un masque sévère. Il fallait comprendre le vrai pourquoi, pas celui qui semblait évident : en réalité, croiser les couverts ne met personne dans une rage noire. Pasmême lui contrairement à ce que j'ai cru au départ. En réalité, vous êtes juste la goutte qui fait déborder le vase.

Conséquence directe : vous passez votre temps à vous surveiller, vous et vos congénères. Et j'ai remarqué que c'est quelque chose que je fais toujours. Au milieu de la plus insignifiante conversation, je me surprends à penser "ah, c'est bon à savoir ça", commm si au fond de moi une âme bien plus noire était à l'oeuvre et que je l'intercepte de temps à autres.

C'est réellement effrayant d'être si peu souvent en Paix, d'épier les autres contre son propre gré.

Mais pourtant, voilà une partie de mon éducation : je suis rompue à cet exercice de surveillance, de détection de faiblesses, de qualités, de défauts, d'opinions, de désirs, de rêves, de projets, de souvenirs...Chaque fois que quelqu'un me dit quelque chose qui réponde à l'une de ces catégories, tout se grave dans mon cortex, prêt à ressortir si besoin est.

L'exemple qui m'a frappée à ce sujet se déroule il y a deux semaines. Un ami, appelons-le Joker, vient me voir alors que je suis en larmes suite à certains problèmes personnels que je dévoilerai sans doute ultérieurement, mais qui, pour résumer, m'obligent à déménager sous peu, alors que je n'ai aucun revenu ni personne chez qui aller. Joker me dit donc "il doit bien y avoir une solution, on ne peut pas te laisser à la rue". On parle pendant 5 mn en tentant de trouver une solution, et alors une petite lampe s'allume en moi, juste une sorte de conscience supplémentaire, et je dis quelque chose du style "je sais pas quoi faire, j'ai plus de famille, plus rien" et j'ai eu un petit regard larmoyant style cocker abandonné au bord de l'A6. Et Joker a répondu "Ecoute, si ça ne va vraiment pas...". Et là, une part de moi a pensé "tu es là où je voulais t'emmener". Alors que je n'avais pas du tout conscience de cela, je venais tout de même d'accomplir ce miracle de comprendre son mode de pensée et de prévoir quelle réponse il donnerait à cela. De fait, j'ai dit merci mais je comtpe refuser tant que je pourrais. Pas question de profiter de cela sur un ami.

A la suite de cet incident, je me suis remise en question. J'ai réanalysé certains moments de ma vie et j'ai réalisé que je faisais toujours ça, mais complètement inconsciemment. Je comprennais mieux les accusations d'une certaine personne, nommons-le Lord T, qui était certain que je l'avais manipulé.

D'où que cela me vienne, je suis terrifiée à l'idée de recommencer. Et captivée en même temps. Avoir un tel pouvoir sur les gens, c'est tellement exaltant. D'où ma peur !!! Je me demande à quel point tout cela m'a servie et desservie dans ma vie jusqu'à présent, et si ma soeur, par exemple, expériemente les mêmes choses, bien que je sache pertinemment qu'elle n'a pas du tout eu la même vie que moi, ni lam ême éducation. C'est un nouveau vice à rajouter sur la liste de ce qui me reste de mon enfance...

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