Where have you been ?
Cela fait un peu moins de deux ans que j'ai l'impression de devenir... féministe.
Ah, tout de suite les grands mots ! Ca sonnerait presque comme un aveu de culpabilité. Ne se proclame féministe que la chienne de garde enragée ne craignant pas la caricature. Les autres femmes n'ont pas intérêt à être féministes. Féministe, c'est quelque chose qu'il faut savoir assumer ! Personne ne vous le dit mais c'est toujours dans l'air ambiant.
Alors du coup, je ne sais pas trop. Je ne sais pas si je le deviens. Et je ne sais pas si je suis supposée le devenir. Suis-je sur la mauvaise pente ?
Il y a quelques semaines, sur Facebook, l'une de mes amies a posté une image à vocation humoristique comme il y en a tant ; mais à celle-là, l'un de ses contacts a immédiatement répliqué, demandant si elle devenait féministe (le statut ayant depuis été effacé, je ne peux reprendre les termes employés exacts). Mon amie de se défendre : "Pas du tout, mais c'est drôle et pas totalement faux...". Bah pourtant ça m'a l'air féministe, non ? Pourquoi s'en défendre alors que c'est clairement le but de ce dessin ? Il n'y a aucune honte à être féministe.
Peut-être que le problème vient du fait que la définition du mot "féminisme" n'en finit plus de glisser. Au point que moi-même, j'en viendrais presque à douter de son sens, bien qu'on puisse supposer que je sois un tantinet concernée.
Alors reprenons depuis le début et voyons ce qu'en dit l'Académie française.
FÉMINISME n. m. XIXe siècle. Formé sur le radical du latin femina, « femme ». Mouvement revendicatif ayant pour objet la reconnaissance ou l'extension des droits de la femme dans la société.
Ah. Il s'agit donc d'un mouvement basé sur les droits. Ça n'a l'air de rien mais ça me semble important. Le féminisme n'est pas une question de relation dominant/dominé : il s'agit simplement de veiller à ce que ses droits soient reconnus. C'est l'Académie française qui le dit.
La question de l'extension est déjà plus compliquée à appréhender, ou en tous cas, est ouverte aux interprétations (quels malins, ces Académiciens, ils ne se sont pas mouillés et nous laissent nous dépêtrer avec les concepts !). Je suppose que chacun peut y trouver le sens qu'il souhaite, donc, mais je le comprends comme la nécessité de faire avancer les droits de la femme, dans le même sens qu'on pourrait fait avancer, par exemple, les droits des salariés : cela ne revient pas à dire que le salarié doit devenir superpuissant, juste que ses droits doivent continuer de progresser.
Ce qui est important aussi dans cette définition, après tout, c'est ce dont elle ne fait pas mention : il ne s'agit pas d'opposer les femmes aux hommes. Et je crois que c'est la raison pour laquelle, en dépit du terme "mouvement revendicatif" qui sonne comme un rien agressif, je me reconnais dans cette définition : elle ne met pas en opposition les hommes et les femmes, elle dit juste que le féminisme, c'est vouloir que les droits des femmes se portent comme un charme. Pas au détriment de qui que ce soit. La nuance a son importance.
Jusqu'il y a encore, donc, environ deux ans, pour moi, être féministe n'avait curieusement aucune connotation politique. Il s'agissait simplement d'un synonyme des mots indépendance et autonomie. Ou mieux encore : de libre-arbitre. Il y avait d'un côté les femmes qui pensaient qu'on pouvait décider pour elles, et de l'autre les femmes qui étaient féministes. Et rien au milieu, parce que j'avais la vingtaine et que j'aimais beaucoup les concepts simples, c'est bien souvent l'âge qui le veut.
Et ainsi chacune menait sa vie comme elle l'entendait... ou plutôt, soit comme les hommes autour d'elle l'entendaient, soit comme elle l'entendait en son âme et conscience.
Mais dans mon esprit, cela ne correspondait pas à grand'chose de précis. Par exemple, je n'associais pas les questions de l'avortement au féminisme ; l'avortement était acquis, et si l'on était féministe, alors on prenait la décision toute seule si on était confrontée à ce dilemme. Si l'on n'était pas féministe, on demandait à son père, son frère, son copain, son mari, peu importe : à un homme, de décider.
Alors qu'est-ce qui a changé ? Au juste je n'en suis pas certaine, en fait. Il ne s'est rien passé dans ma vie qui relève d'un combat féministe, je pense. Ou en tous cas pas que je considère comme tel. Je continuais par exemple de considérer que ma quête (pour le moment irrésolue) de choisir ma propre contraception était une question de libre-arbitre contrarié, pas de féminisme. J'avais pensé pendant des années que c'était mon jeune âge la cause de la réaction des médecins et gynécologues à ma demande de ligature des trompes, pas le fait que je sois une femme et que les femmes n'aient qu'un libre-arbitre amputé lorsque cela concerne leur utérus.
J'ai longtemps pensé comme ça... jusqu'au jour où j'ai réalisé que je ne pensais plus comme ça. Pas de déclic. Rien. Un jour j'y réfléchis et je me dis : "mouais, en fait, ça se trouve, c'est ptet bien parce que je suis une femme qu'on me casse les burnes-que-je-n'ai-pas de cette façon". Et j'ai commencé à me dire que c'était quand même drôlement suspect cette pression qu'on exerçait sur moi, à travers différent médecins, à me dire et me répéter que je changerais d'avis, qu'un jour je voudrais des enfants, qu'un jour si un homme veut des enfants de moi je serai bien embêtée.
J'ai commencé à me dire : pas sûr qu'on pose toutes ces questions à des futurs parents. "Bon, là maintenant vous voulez avoir un enfant, mais qu'est-ce qui se passera si vous changez d'avis ? Et si un jour vous réalisez que vous ne vouliez pas vraiment des enfants ? Ou si un jour, vous rencontrez un homme qui ne veut pas d'enfant ?". Mais les ventres ronds sont nombreux et personne n'a l'audace de leur demander ce qui se passera s'ils changent d'avis. Et pourtant, c'est à mon sens plus grave. Décider de ne pas avoir d'enfant, décider de faire les démarches chirurgicales pour s'en assurer, certes, ce n'est pas irréversible. Mais il y a l'adoption. Il y a les familles recomposées. Il y a des tas de façon de laisser parler son instinct maternel, si vraiment on pense détenir ce pouvoir magique qui fait aimer les enfants. Mais si vous faites un enfant et que vous avez des remords ? Vous faites quoi, vous rejetez votre enfant ? Vous le confiez aux serves adéquats, ou vous lui faites sentir toute sa vie que finalement vous auriez aimé ne pas l'avoir ? Mais socialement, une femme doit vouloir des enfants. Alors on ne lui pose pas trop la question des remords ; tandis que si elle ne veut pas d'enfant, là on joue sur la culpabilité potentielle qui sera la sienne si, oh horreur, elle ne tombe jamais enceinte.
Quelque part à ce moment-là de ma réflexion, j'ai commencé à me demander si ma façon de voir la condition des femmes ne méritait pas une petite mise à jour. Il me fallait réfléchir à toutes les choses qui me semblaient évidentes, pour vérifier si elles l'étaient vraiment.
Mais ça n'est pourtant pas devenu un sujet central dans ma vie.
J'ai simplement ajouté la question "être une femme, et en particulier être une femme dans la société au coeur de laquelle je vie, ça veut dire quoi ?" à tous les sujets qui m'intéressent, de la politique politicienne à la télévision, en passant par le constructivisme. C'était il y a trois ou quatre ans, une période où je regardais encore pas mal de débats sur plein de sujets (la religion, la diplomatie, la Justice...) et où j'ai commencé à lire des sites tels que Slate afin de m'alimenter régulièrement, mais sans lourdeur, en pistes de réflexion diverses et variées. Le féminisme n'était pas LE sujet qui me préoccupait. Mais pour la première fois, j'interrogeais mes certitudes.
Et pourtant, entre la lecture quasi-quotidienne de Slate afin de cultiver mes propres opinions dans des tas de domaines, et ma position actuelle sur le féminisme, il s'est encore passé des choses. Je le vois aux sites que je lis, aux comptes Twitter que je suis, aux débats que j'ai avec des proches ou des inconnus. Je le vois aussi à ma réaction de plus en plus méfiante vis-à-vis de certains mécanismes qui m'apparaissent comme sexistes depuis, donc, un peu moins de deux ans.
Suis-je devenue féministe ?
Pas sûr. Le débat "Madame/Mademoiselle" m'a fait rouler des yeux. Non parce qu'il y a une hiérarchie des maux ("franchement, ya pas plus important comme combat féministe ?!"), non parce qu'il y a une exagération du sens de ces mots ("rho ça va, c'est pas parce que j'appelle quelqu'un Mademoiselle que ça veut dire qu'elle n'a pas été validée par un homme !"), mais parce que le changement cosmétique d'un mot ne modifie pas certaines pensées, et que le débat a au contraire exacerbé les positions les plus problématiques. J'ai même entendu un homme dire qu'il appelait les femmes "Mademoiselle" exprès pour les faire enrager... c'est dire si le combat n'était pas forcément bien mené. Il n'y a pas semblé avoir de prise de conscience derrière le "Madame/Mademoiselle", et pire encore, je ne sais pas si cette passe d'armes a donné une chance à quiconque d'atteindre une prise de conscience, même minime. Le vocabulaire était supposé souligner un problème, au lieu de ça beaucoup n'ont vu que le vocabulaire...
Je crois que dans le fond, j'ai gardé un peu de cette conviction que le féminisme équivaut au libre-arbitre. Sans doute parce que les deux sont indissociables : je suis une personne avec son libre-arbitre, et je suis une femme. Il semblerait logique que je puisse prendre absolument toutes les décisions qui me chantent (c'est le libre-arbitre), et il serait heureux que je puisse les prendre sans que ma condition de femme n'apporte des clauses en petits caractères lorsque je prends des décisions, voire même, efface certaines possibilités.
Force est de constater, parfois, qu'il y a encore des standards différents qui s'appliquent aux décisions que l'on prend selon qu'on est un homme ou une femme.
J'ai grandi dans une maison dans laquelle mon père pouvait faire la vaisselle une fois tous les 15 ans lorsque nous étions à la maison et s'exclamer : "il y a trois femmes dans cette maison, et c'est moi qui fais la vaisselle !" sans que ni ma mère, ni ma sœur, ni moi, ne réagissions (lorsqu'il y était seul, la question ne se posait pas ; et rétrospectivement, encore heureux). Aujourd'hui je repense à cette phrase et je réalise combien elle était symptomatique de la façon dont mon père concevait le rôle de chacun et chacune à la maison. Que de chemin parcouru...
Si j'avais écouté mon père, aujourd'hui je serais probablement en train de faire la vaisselle ou passer la serpillère (des activités qui pouvaient occuper ma mère des weekends entiers) au lieu d'écrire ; et je ressens cette réalité comme une perte à laquelle j'ai échappé de justesse, grâce à quelques lectures et une conscience qui s'est réveillée.
Mais alors que depuis plusieurs jours, les articles se succèdent sur Todd Akin, et que je me sens animée d'une énorme rage comme chaque fois que je vois un homme politique, quel qu'il soit, s'en prendre à l'appareil reproducteur de femmes qu'il ne connait même pas (mais dont curieusement il espère quand même un peu décrocher le vote), je me rappelle aussi qu'il y a moins de deux ans, je ne lisais pas autant d'articles. Je ne consultais pas Jezebel, Blisstree ou les articles de Gaëlle-Marie Zimmermann. Mais où étais-je ?
Comment se fait-il que je ne m'aperçoive de la brûlante actualité de ces sujets qu'à présent ? Pourquoi étais-je aveugle à ce qui se dit depuis des décennies sur nos droits ?
A vrai dire, je ne suis pas féministe, non... Et je m'en veux un peu.